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Pendant quelques années Emily traverse une nuit qui n'a pas de nom et dont elle est seule à connaître le glacé. Le cap Horn est franchi en 1861. « Depuis septembre j'éprouve une terreur dont je ne peux parler à personne – aussi je chante, comme l'enfant près du cimetière – à cause de la peur. » Les diables de l'angoisse, une première fois chassés à deux ans et demi, reviennent la lapider. Elle leur échappe en se cloîtrant.
Le génie est une réponse à l'impossibilité de vivre, le bondissement du cerf au-dessus de la meute. En radicalisant ce qu'elle subit, elle en change le sens : c'est pour mener la mère des batailles qu'elle rentre dans sa maison, monte l'escalier, disparaît dans sa chambre. C'est pour être la plus vivante. Le travail des saints, c'est de nettoyer la vie, d'extraire la pierre précieuse de sa gangue de boue sèche. Dans sa chambre Emily, avec une petite brosse d'encre, lave le mot de « vie » – le rubis donné à tous. Ses poèmes élèvent contre les marées montantes de la mort l'infranchissable muraille de la Beauté.
Ce retrait qui la protège du mortifère goût des gens pour la convention est une manière de prendre soin d'eux malgré eux : « La distance est la racine de la douceur. » La vie ne serait rien sans la contemplation.